Marketing abonnés : les conseils des meilleurs experts numériques
Quelles sont les bonnes pratiques de conversion et de fidélisation d’abonnés ? Les indicateurs clés, la méthodologie d’analyse, les erreurs à éviter ?
Voilà quelques-une des questions posées à l’occasion de The Audiencers festival, Poool vendredi 22 septembre 2023 dernier à l’auditorium du Parisien-les Echos. Pour y répondre, Marion Wyss, maîtresse de cérémonie, avait convié quelques-uns (es) des meilleurs expert(e)s en marketing numérique.
1. Faciliter la collaboration entre équipes édito, marketing et produits
Longtemps, une « muraille de Chine » infranchissable a séparé les équipes éditoriales du marketing ou du produit, pour s’assurer l’indépendance éditoriale des journalistes. Ce confinement n’est plus possible à l’heure où la conquête d’abonnés requiert une collaboration inter-métiers.
Voici quelques conseils glanés lors de cette journée, pour faciliter la collaboration :
📍Aligner les objectifs de tous. Les choses sont plus simples depuis que le recrutement d’abonnés numériques est devenu la priorité pour les directions. Les rédactions adhèrent aussi plus facilement à cet objectif qui valorise les contenus “de qualité”, par opposition à ceux qui génèrent uniquement de l’audience.
Il reste toutefois des arbitrages entre des objectifs d’audience, d’abonnement et de revenus. Le plus souvent c’est la direction marketing/produit ou la direction générale qui tranche, en cas de dissension persistante.
Parfois, c’est un nouveau poste qui s’en charge, comme au Parisien : le Chief revenue officer qui arbitre entre revenus publicitaires et revenus d’abonnement. L’objectif est d’éviter les sites « arbres de Noël » saturés de publicités et liens sponsorisés vendus par les commerciaux, soucieux de faire leur chiffre.
Mon avis. La question sous-jacente est celle de la temporalité et la pérennité des revenus engrangés. Dans quelle mesure ces revenus publicitaires à court terme – dont les médias ont le plus grand besoin pour équilibrer leurs comptes – ne ralentit pas l’acquisition à plus long terme d’abonnés par la dégradation de l’expérience utilisateurs ? C’est le rôle crucial de l’actionnaire de permettre la mise en place d’une stratégie au long cours efficace et c’est un investissement coûteux.
📍Fonder les arbitrages sur des chiffres. Le développement de la culture des données, l’analyse des statistiques d’audience ou d’abonnement rationalisent les décisions et apaisent les relations. Il ne s’agit plus de la décision au doigt mouillé du rédacteur en chef omniscient, mais de l’analyse méticuleuse de ce qui fonctionne ou pas et pourquoi.
Mon avis. Les chiffres ne mettent pas fin à l’intuition journalistique ou à la subjectivité de toutes les propositions éditoriales. Sans quoi, il suffirait simplement de répondre aux besoins exprimés dans Google Search sans travailler l’originalité de sa proposition éditoriale. Mais l’analyse des données peuvent apaiser les discussions sans fin autour de l’idée que chacun se fait du lecteur et de ses attentes.
📍Définir les prérogatives de chacun – Qui fait quoi, qui est responsable de quoi et qui a la décision finale.
Au groupe Le Parisien-Les Echos, Sophie Cassam Chenaï, directrice marketing et digital a détaillé les rôles précis dévolus à chaque service pour chaque tâche, ce qui évite de se marcher dessus. Ainsi la connaissance de l’utilisateur, de ses parcours de lecture est de la responsabilité de la direction Produits. La connaissance du client dépend elle, de la direction marketing.
📍Comprendre le métier de l’autre. Au Figaro, sont organisées des sessions « Vis ma vie » au sein de chaque métier (marketing, rédaction, produits, tech…). Pour Laurent Suply, Directeur Produits au Figaro :
« Il est important que chacun comprenne les contraintes et la culture des autres. Par exemple, qu’on ne vend pas de l’information comme on vend des chaussures, ce qu’une hiérarchisation éditoriale et pourquoi on a besoin de journalistes et pas simplement d’un flux chronologique sur la une ».
Cette compréhension passe aussi par des réunions périodiques, tous les quinze jours au Figaro entre le marketing et l’éditorial. Désormais la présence de marketeux dans la conférence de rédaction n’est plus une hérésie.
Autrefois, l’éditorial se désintéressait totalement des chiffres, ce n’était pas leur affaire. Aujourd’hui ils n’en n’ont jamais assez pour mesurer l’impact de leur travail.
« On a pas assez de chiffres, pourquoi on n’en n’a pas ! « On se fait toujours engueuler mais pour la raison inverse » constate Diane Lemoine, Directrice générale déléguée de L’Express.
📍S’organiser en petites équipes dédiées : les squads
Le terme « squad », emprunté au jargon militaire, désigne un groupe de combat petit et donc plus flexible. Il a été adopté dans le milieu du développement via la « méthode agile ». La squad est une équipe pluri-métiers capable de réaliser un projet de manière autonome (un développeur, un chef de produit, un rédacteur, un designer)…
Un même employé peut travaille sur plusieurs squads et objectifs, à l’instar de la squad « mobile » qui est transverse dans l’exemple donné ci-dessous par Sophie Cassam Chenaï.
📍 Faire simple, éviter les « usines à gaz » .
Ce, pour éviter les « cadavres produits » qui ne sont jamais utilisés. Il vaut mieux procéder par évolutions progressives, plutôt que penser un produit complexe qui sera d’autant plus compliqué à expliquer aux utilisateurs.
A titre d’exemple, Diane Lemoine, Directrice délégué de l’Express, évoque ce diaporama multimédia qui a pris quatre mois de développement, pour n’être utilisé que quatre fois in fine – dont un fois pour le test. Ou encore ces « Long forms live » que les journalistes n’utilisent pas.
Mon avis. Les outils ne suffisent pas : il faut aussi la stratégie éditoriale : des directs « long format » pour répondre à quels besoins de la part des lecteurs, avec quels objectifs (audience, rétention, image) ? Il faut aussi l’organisation éditoriale (l’incitation lors de la conférence de rédaction, la matière et le temps. On en revient à la question centrale : pour quel objectif ?).
2. Suivre les bons KPI et en tirer des infos utiles
Julia Schvartzer, Customer Success Manager chez Chartbeat nous a présenté une vaste étude mondiale sur l’évolution du trafic des éditeurs en provenance des réseaux sociaux depuis début 2023.
L’étude opère d’abord un constat :
📍 Mesurer l’évolution du trafic des réseaux sociaux. Celle-ci baisse, en particulier celle de Facebook, premier canal de trafic des éditeurs.
Le trafic Facebook est revenu au niveau de 2019, soit -9 à -14% depuis le début de l’année. Le trafic social est passé de 14% à 11% du trafic total en moyenne en France (31% pour le search).
Un constat partagé par tous les éditeurs du monde et qui fait le malheur des community managers. certains au Etats-Unis se plaignent même d’un baisse jusqu’à 50% de leur trafic Facebook.
Le temps d’engagement moyen des utilisateurs français sur Facebook est de 25 secondes (26 secondes en Europe du nord, généralement les derniers du classement mondial, mais pas très loin des autres non plus un peu au-delà des 30 secondes).
📍Les lecteurs fidèles apportent plus de trafic que les nouveaux
Bien que moins nombreux, ils représentent un pourcentage beaucoup plus élevé de pages vues : entre 36 et 37% du total, contre 15 à 20% pour les nouveaux visiteurs. Les visiteurs loyaux : visitent le site tous les jours. Les visiteurs réguliers (« returning »), tous les 5 jours au plus.
Mon avis. Ces chiffres montrent l’importance cruciale de bien connaître les besoins de ses publics cibles et de ne pas s’en écarter trop. Même sur le plan de l’audience, les nouveaux visiteurs sont moins rentables que les récurrents. Et évidemment, c’est encore pire en termes de transformation, car on sait que la probabilité de s’abonner augmente avec la récurrence de l’engagement.
📍 Adopter une méthode d’analyse rigoureuse
Camille Douay, Lead data scientist au groupe Les Echos-Le Parisien nous a expliqué sa façon de faire.
- D’abord représenter chaque lecteur par une série d’indicateurs (nombre de visites, d’articles lus, temps passé et croiser ces indicateurs)
- Placer les points sur un graphique
- Regrouper les lecteurs ayant de comportements similaires pour obtenir des segments de lecteurs homogènes
- Exploiter ces segments pour les exploiter via un ad serveur ou un paywall
📍 Les KPI les plus utiles.
- Le taux de survie des abonnés à un mois (à corréler à la navigation)
- La proportion de visiteurs connectés parmi les abonnés
- L’engagement : visites, temps passé, récurrence de visites (à corréler au taux de « churn »)
- La consommation et transformation des visiteurs par canal d’entrée (PC, mobile, search, réseaux, appli mobile…), rubrique
Ceci permet de mettre en avant certains contenus
Un point clé : donner des objectifs accessibles, sinon les revoir en conséquence. Rien de plus démotivant que constater chaque mois combien on est loin des objectifs.
3. Optimiser ses conversions
📍D’abord un constat : le modèle « freemium » (une partie gratuite, une autre payante) à travers la monde est globalement moins efficace que le modèle « metered » (compteur d’articles gratuits). C’est ce qu’indiquent les données du Global Digital Snapshot Q1 2023 qui a étudié les 116 médias ayant le plus d’abonnés. Les modèles fremium apportent en moyenne par mois 7,6 abonnés pour 1000 visites, quand les metered paywalls en génèrent 23.
Mais corrélation n’est pas causalité. C’est beaucoup une question culturelle, car dans les pays anglo-saxons, des formats courts et précis mais utiles peuvent suffire à convaincre, ce qui convient bien au modèle « metered » où les contenus de ce type sont abondants. Alors que chez les latins, qui dit qualité, dit long. Or ces contenus coûteux sont plus rares et il ne faudrait pas galvauder leur valeur en les mettant à disposition de tous.
Mon avis : c’est aussi une question de maturité des éditeurs, car le plus simple est de mettre en place un compteur pour recruter rapidement les fans de sa marque. Dans un second temps, il faut affiner la stratégie pour convaincre les autres un par un, par la qualité de son offre et son dispositif marketing récurrent, mais pas étouffant.
Sophie Thierry-Clébant, responsable du Premium chez CMI et Laurent Scullino, consultant indépendant nous ont révélé quelques-unes de leurs bonnes pratiques pour optimiser le tunnel d’abonnement.
📍 D’abord, le B.A-BA : définir sa proposition de valeur en deux lignes pour le lecteur. Qu’est-ce qu’il va trouver dedans ! Puis le pourquoi.
📍 Tester les messages des « paywalls » ou des « registrating walls ». Parfois un simple changement de place du bouton ou une formulation plus directe augmentent les taux de clic ou d’ouverture. Tester tout : les design, des messages, des formats et des emplacements différents. La petite astuce de Sophie : ne pas oublier le « Derniers jours pour en profiter »
📍Laisser du temps pour valider les tests. Modifier les messages toutes les 5 à 6 semaines pour laisser mûrir l’expérience. Mais ne pas attendre trop longtemps pour ne pas lasser le public.
📍 Etre en résonance avec avec l’actualité
Il faut anticiper les marronniers de l’année, comme l’été et la fin de l’année, moments clés pour le site Elle.fr. Mais aussi plein de petits moment – on change à chaque changement (+35%)
📍 Identifier aussi les flops. Ceux qui ne font ni conversion, ni lecteurs abonnés. Et s’interroger sur la raison de cela : titre, contenu, cibles, mise en valeur ? Cela permet à la rédaction de se remettre en cause et de progresser.
📍 L’enregistrement des utilisateurs est clé ! C’est la stratégie simple pour augmenter la « lifetimevalue » des utilisateurs (ce qu’il rapportent dans le temps). La propension d’un utilisateur connecté à s’abonner est cinq à dix fois plus élevée que les autres. Mais même s’il ne s’abonne pas, il verra plus d’articles, passera plus de temps sur les pages, ce qui améliore les revenus publicitaires.
📍 Et pour ce faire, il faut du biscuit : donner accès à une newsletter, permettre la personnalisation de son espace, intégrer une communauté forte, un club de discussion ou d’échange, réserver l’interaction aux inscrits (commentaires sondages, quiz), offrir des avantages (accès aux coulisses, à des évènements limités, des réductions…). Dans l’exemple ci-dessous La Revue du praticien a amélioré le taux de clic sur sa newsletter en simplifiant le message. Bénéfice clair : actus, tests (en gras) et une newsletter (pas de choix intermédiaire à faire) :
📍 Attention aux offres à un euro qui font chuter la lifetimevalue des utilisateurs. Cela accélère le recrutement, mais pour ce qui est de la rétention… Cette stratégie peut s’avérer finalement assez peu rentable.
📍Soigner la rétention avant de se lancer dans l’acquisition. Les 2% de conversion des lecteurs à forte lifetime value rapporte plus que 20% de recrutements avec LTV faible. Et bien sûr, c’est l’engagement qui détermine la valeur économique d’un utilisateur. C’est pourquoi certains titres mettent d’abord l’accent sur l’on-boarding (l’embarquement) des utilisateurs plutôt que sur des campagnes d’acquisition. Ce parcours d’on-boarding est décisif pour préserver le client, et pour cela il faut lui indiquer rapidement la richesse de l’offre dont il dispose, via des e-mails réguliers et concrets, de plus en plus espacés dans le temps. L’essentiel de la décision se joue la première semaine d’inscription.
Ci-dessous on voit combien la valeur économique d’un utilisateur est liée à son engagement :
Mon avis : Une fois de plus ces données montrent combien la création d’une communauté est clé pour accélérer ses conversions. L’essentiel de la décision de s’abonner ou pas à un titre ne dépend pas tant de la qualité éditoriale (condition nécessaire mais pas suffisante), que de la qualité de l’expérience utilisateur. Or celle-ci est en grande partie déterminée par la qualité de la socialisation qu’on tire de ses lectures ou des interactions que le média organise, à distance ou dans le monde physique.
Conclusion : je n’ai fait qu’un tour d’horizon rapide de quelques sujets évoqués parmi les nombreux points abordés lors de cette journée très riche. On a vu combien l’acquisition d’abonnés et la monétisation des contenus était complexe et prenait du temps. Il s’agit d’un marathon, non d’un sprint, d’où la nécessité d’avoir plusieurs années devant soi, d’être organisé et de ne pas perdre de temps. Notamment en embauchant les bons profils via une rémunération au prix du marché, un management souple mais présent et des projets intéressants, au-delà de l’achat de mots-clés sur les plateformes. On reparlera de ces métiers hybrides…
J’ai oublié quelque chose ? Je me suis trompé ? Vous n’êtes pas d’accord ? Laissez un commentaire ! J’y réponds toujours 😀 Vous avez besoin de conseil ou de formation ? Envoyez-moi un e-mail
Cyrille Frank
Directeur de la formation et de la transformation numérique chez CosaVostra
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