Pourquoi le podcast peine (toujours) à trouver son modèle d’affaire
La question de la maturité du marché des podcasts et de leur rentabilité est toujours prégnante, année après année. Voici ce qui bloque.
Depuis 2019, la lancinante question revient : “Sybel, Majelan, Binge Audio… Quel business model pour les podcasts ?” (La Tribune, 2019), “Quel modèle économique pour le podcast français ?” (Les Inrocks, 2020), “Quel modèle économique pour l’industrie du podcast ?” (Les Echos, 2021), “Malgré son succès, le podcast, toujours en quête de son modèle économique ?” (La Dépêche, 2022)?
Pourtant, il ne se passe pas un mois sans une annonce dans le secteur, qu’il s’agisse d’un nouvel acteur, d’un nouveau rachat, d’une nouvelle fonctionnalité.
Et les écoutes continuent de grimper, mesures de Médiamétrie à l’appui. En France, 151 millions de podcasts français ont été écoutés ou téléchargés en septembre 2022 – versus 108,2 millions en septembre 2021 (soit+39% de croissance en un an).
Le secteur bouge donc bel et bien.
Alors, pourquoi les producteurs de podcasts ne parviennent pas à dépasser cette phase de tests et de tâtonnements ?
La “culture du gratuit” entrave la monétisation
Dès l’origine, le podcast a été conçu comme un contenu gratuit. Aujourd’hui encore, une grande partie des podcasts natifs français ne repose sur aucun modèle économique. Ces émissions ne rapportent pas de revenus directs à leurs producteurs, ni via l’abonnement, ni via la publicité. En parallèle, son cousin proche qu’est la radio, est perçu comme un média de service public, avec une accessibilité totale.
Par ailleurs, l’insertion automatique de publicité dans les podcasts ne s’est pas développé tout de suite, alors que le modèle existait déjà dans les grandes chaînes de radio traditionnelles.
On retrouve là les difficultés des médias en ligne sur le web qui peinent aujourd’hui à faire payer leurs lecteurs, après avoir très longtemps offert leurs contenus gratuitement.
Le modèle publicitaire souffre de défauts structurels
1. Une couverture encore faible du podcast.
A force de parler du succès du podcast, on en vient à croire que tous les Français connaissent et consomment ce format. C’est loin d’être le cas. Selon l’édition 2022 de l’étude “Les Français.e.s et le podcast natif”, 68% des personnes interrogées n’écoutent pas de podcast, dont 30% qui ne savent pas ce que c’est. Le portrait type de l’auditeur de podcast reste assez élitiste : 35 ans en moyenne, très urbain, instruit, connecté, consommateur de médias et de services numériques etc.
Il y a donc un vrai effort de pédagogie à faire de la part des acteurs pour démocratiser le podcast et conquérir de nouvelles audiences.
Il est vrai, comme le souligne Jean-Michel de Marchi (rédacteur en chef de Mind Media), que se pose un vrai problème de « découvrabilité » des podcasts. Ces derniers sont encore assez mal référencés sur Google et dépendent beaucoup des mises en avant des plateformes. Lesquelles évidemment favorisent les plus connus (nombre d’écoutes, popularité du host, etc.), ce qui accentue l’effet « blockbuster ».
2. Un manque de données.
Un des freins au développement de la monétisation est lié au manque de statistiques. En effet, les producteurs ont accès à peu d’informations concernant leurs audiences et il peut être difficile de bien connaître la typologie des auditeurs touchés par une campagne publicitaire. Parmi les informations difficiles, voire impossibles à obtenir, on trouve : l’âge, la profession, la provenance géographique précise, la catégorie socio-professionnelle, etc.
Ce manque de visibilité implique un manque d’apprentissages pour adapter son modèle et confirmer une stratégie de monétisation long terme efficace. Cela peut décrédibiliser le podcast dans un plan média mixte.
3. Un rejet de la publicité ? Plutôt non.
L’étude CSA/Havas (pdf) présentée au Paris Podcast Festival 2022 révèle que 63% des auditeurs préfèrent écouter des podcasts gratuits avec de la publicité (sous-entendu que payer un podcast garanti sans publicité).
D’ailleurs, l’étude plaide en faveur de l’efficacité de ces publicités. 74% déclarent qu’une publicité leur a donné envie de se renseigner sur le produit ou le service et 64% donné envie d’acheter le produit ou le service. La publicité est globalement acceptée, à condition que les annonceurs et les formats choisis, conviennent à la ligne éditoriale.
La conséquence : les revenus publicitaires se concentrent sur quelques “blockbusters”
Dans une tribune des Echos de septembre 2021, Hervé Collignon, Partner chez Altman Solon, précise que 80% des revenus générés par la publicité et les abonnements se concentrent sur les 15% des podcasts les plus importants (Etude d’Altman Solon Analysis, février 2021). Une grande majorité de podcasts ne monétisent toujours pas ou peu.
Le modèle d’abonnement est freiné par l’offre concurrentielle
L’offre gratuite des géants. Les plateformes de musique en ligne comme Spotify ont choisi de rendre leur catalogue, dont les podcasts, en très grande majorité gratuit. Difficile de convaincre les consommateurs de payer pour un service auquel ils accèdent déjà librement.
On retrouve le même problème pour les articles d’actualité diffusés largement en ligne par les médias (notamment audiovisuels), financés par la publicité ou la redevance.
Une motivation d’achat limitée par la concurrence de l’attention. 89% des auditeurs réguliers interrogés dans cette même étude disent écouter leurs podcasts tout en faisant autre chose d’autre, ne serait-ce que de temps en temps. Et 85% les écoutent en étant en mobilité (en voiture, dans les transports en commun, dans la rue). Il est sans doute moins facile d’accepter de payer pour un service auquel on n’accorde qu’une attention mitigée, contrairement au visionnage d’une série sur Netflix par exemple. Une étude de Bearing Point de novembre 2020 montrait déjà la popularité de ces abonnements :
La monétisation d’un média est un métier à plein temps
Le manque de ressources. Dans la plupart des cas, la monétisation du podcast implique du temps de travail supplémentaire. Cela peut être la recherche de sponsors, la préparation de « host reads » ou encore la production de contenus premium supplémentaires. C’est une étape consommatrice en temps et en ressources humaines. L’investissement doit bien être mesuré pour garantir une vraie rentabilité.
La difficulté de changer de modèle. Les producteurs testent plusieurs modèles avant de trouver le bon. Il y a une limite au test à tout-va : une fois les auditeurs habitués au “tout gratuit”, difficile de leur demander de payer, sinon on risque de les perdre.
Lors d’une masterclass au Paris Podcast Festival 2022, Christophe Carron, directeur des rédactions de Slate, expliquait que son média ne pouvait pas rendre le très célèbre Transfert payant, du jour au lendemain, après 6 ans de diffusion gratuite. Ce qui explique leur choix de lancer en novembre 2022 le Transfert Club, une offre qui ne vient pas concurrencer le flux des épisodes existant, qui reste gratuit.
A cette même masterclass, Mathieu Genelle, créateur du podcast Les P’tites Histoires, racontait l’évolution de son modèle : passé par la publicité, il a migré vers l’abonnement. Les parents qui choisissent le podcast pour leurs enfants avaient initialement demandé à ne plus entendre de publicité, mais lorsqu’il a ensuite proposé le paiement par abonnement, il a reçu des réactions mitigées.
Le modèle altruiste : un problème d’échelle
Un petit pourcentage de podcasteurs indépendants demande une rémunération à son public. Et ce, via des plateformes participatives comme Tipeee ou Patreon.
Le podcast Méta de choc propose par exemple un système de dons régulier, sous forme de 5 niveaux d’abonnements mensuels allant de 3 euros par mois (le “Méta-gentil”) jusqu’à 50 euros par mois (le “Méta-partenaire”).
Pour Simon et Simone, le modèle est différent puisque les auditeurs peuvent verser la somme qui leur plaît quand il leur plaît. Tipeee annonce sur la page du podcast qu’ils récoltent en moyenne 631 euros par mois.
Problèmes d’échelle. Ce modèle limite néanmoins les moyens de financement et donc la taille des équipes de production. Là encore seuls les plus gros producteurs indépendants peuvent y recourir de manière significative, car il faut déjà avoir fédéré une communauté nombreuse et fidèle.
Les bonnes pratiques et modèles les plus probants
Face à ces difficultés réelles, pas de fatalisme. Certaines pratiques émergent chez les bons élèves de la monétisation. Parmi eux, on retrouve :
- les podcasts qui diffusent ultra régulièrement et qui se donnent le temps. Cela peut paraître une évidence mais ce n’est pas en publiant deux épisodes ou un tous les 3 mois qu’on peut attendre une monétisation en retour. Matthieu Stefani n’a monétisé son premier podcast Génération Do It Yourself qu’au bout de 2 ans d’existence.
- les podcasts qui sont incarnés par une “marque” – que ce soit une société ou une personnalité connue comme Christophe Hondelatte pour Europe 1 (Hondelatte raconte) ou Le Figaro qui proposent Le Club Le Figaro politique en abonnement. Ils bénéficient de la reconnaissance existante de la marque ou personnalité qui les incarne.
- les podcasts qui ont plusieurs années derrière eux et une communauté existante. Ils ont un argumentaire de vente plus solide et plus de données à fournir. Cela ne se vérifie pas toujours, notamment dans le cas de personnalité qui lance plusieurs podcasts. Dans le cas de Matthieu Stefani, son travail sur Génération Do It Yourself lui a permis de monétiser dès le début son deuxième podcast, La Martingale, lancé en 2019 (soit deux ans après le début de GDIY). Dans un article de Libération de novembre 2022, mentionnant le succès du pionnier Transfert, il est annoncé que “Les podcasts représentent actuellement 22 % des revenus de Slate, une activité bientôt à l’équilibre”.
- les podcasts qui ont une audience de niche, peu représentés dans les médias traditionnels. Ces podcasts viennent combler des manques pour les annonceurs spécialisés (dans le cas de la publicité) et pour les consommateurs en recherche de contenus dédiés (dans le cas de l’abonnement). On peut penser aux succès des premiers podcasts féministes qui venaient dès 2016 combler une absence de couverture dans les médias traditionnels.
L’odyssée au modèle économique est encore loin d’être terminée pour le podcast, qui continue de se chercher. En parallèle d’une démocratisation nécessaire auprès du grand public, les producteurs doivent continuer à tester des modèles de revenus sur d’autres créations audio. Ce double travail de conquête (d’auditeurs et de monétisation) doit se faire conjointement pour pérenniser le milieu.
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